P comme Paul⸱ine

pain dreches

[Temps de lecture : 7 min]

Un travail journalistique sérieux et objectif était plus que requis.

Donc l’autre jour je suis au Cosi Com’e en train de déjeuner de tortellini carne et comme tu peux t’en douter chères lecteurs, c’est une tuerie et je m’en remplis les bajoues sans retenue. Il faut savoir qu’en plus d’être fan d’April O’Neil je suis fan de tortellini depuis toujours. D’ailleurs je ne rate jamais la Festa del Nodo d’Amore, une fête qui a lieu dans le village vénétien de Borghetto, déclaré capitale des tortellini. Lors de cet incroyable événement, plus de 4000 convives savourent ces succulentes pâtes fraîches fourrées de farces salivantes autour de tables longues de quelque 600 mètres installées sur un antique pont enjambant le fleuve Mincio. Et pendant que tous ces gens dégustent la pasta fresca et admirent le décor, Cassenoisette se gave comme une oie et fait descendre le tout à coup de grandes gorgées de Bardolino avant de rouler sous la nappe, repus, saoul, sali et heureux. Mais cessons de rêvasser, aujourd’hui j’ai du travail : j’interviewe Paul⸱ine D.

Paul⸱ine est chercheuse mais j’ai oublié en quoi exactement. Je crois qu’elle bosse pour l’ULB mais je ne suis plus bien sûr, elle m’a expliqué tout ça en long et en large hier au téléphone mais j’étais occupé dans l’officine de Claudine à préparer les antidouleurs maison que Bruno C. m’avait commandés. Bref, l’important c’est de savoir que je l’interviewe au sujet de l’écriture inclusive, dont Paul⸱ine est une ardente défenseuse – la preuve en est, elle est la première personne au monde à avoir fait changer son nom pour y inclure (hehe) un point milieu. Le phénomène m’hyperintéresse pour un tas de raisons : 1 j’aime les questions de société et les combats pour les grandes idées comme le féminisme y compris les combats de catch fémininiste dans la boue, et 2 sur sa photo de profil Paul⸱ine a un petit air d’April qu’est pas fait pour me déplaire. Ah et 3 je crois avoir bien compris l’idée du truc inclusif, mais comme beaucoup ont l’air de trouver que cette nouvelle façon d’écrire est un signe avant-coureur de l’Apocalypse, ben je me suis dit qu’il fallait en avoir le cœur net et qu’un travail journalistique sérieux et objectif était ici plus que requis. Qui d’autre aurait pu mieux s’y coller que le grand JCN ? Et qui serait mieux placée pour en parler que Paul⸱ine et son point milieu ? Pour la petite histoire je l’ai rencontrée sur Tinder et j’ai utilisé sa particularité orthographique pour ma manœuvre de collage consistant à lui faire miroiter un article avec son interview en première page d’un grand journal. Mais elle n’a pas mordu à l’hameçon de l’amour et a vite mis les points sur les i (décide-toi mdr) : elle n’a accepté de me rencontrer que dans le cadre de cette interview au contenu défini à l’avance, pas de frotti-frotta. Donc pour elle au moins les choses sont très claires. Par commodité, j’ai donné rendez-vous à la charmante Paul⸱ine au Nichoir pour cette interview exclusive (lol tordant), comme ça je peux faire d’une pierre deux coups / d’un point deux genres (!) et refourguer à Bruno les pilules miracle qu’il m’a commandées. Au fait j’en ai pris une après mon déjeuner au Cosi et je peux vous dire que c’est pas la peine d’en prendre deux, je suis complètement à côté de mes pompes.

Il y a un gros problème de compatibilité.

Je suis déjà assis à une table et Stefania m’apporte ma 33 lorsque notre Paul⸱ine fait son entrée dans la salle. Et alors qu’elle irrupte, JCN érupte : c’est la déception complète, elle ne ressemble pas du tout à April, mais alors là pas du tout. Zéro courbes full angles no smile. Même si elle avait la combi jaune, aucune chance, recalée la Paul⸱ine. J’éructe intérieurement. On dirait bien qu’on va devoir parler d’écriture inclusive et c’est tout.

JCN: Bonjour Paul⸱ine, quel plaisir de te recevoir ici, installe-toi donc je t’en prie.
Paul⸱ine: Bonjour Julien, merci.
JCN: Au moins tu es polie. Tu bois quelque chose ? Moi je suis à la bière.
P: Je vais juste prendre un verre d’eau.
JCN: BOUUUUUH ! Non je déconne, chacun boit ce qu’il veut, c’est ça la magie de l’inclusion non?
P: Aujourd’hui on utilise plutôt le terme d’inclusivité. Dans quel journal sera publié ton article, déjà?
JCN: Oh Oh Oh on met la charrette avant les œufs à ce que je constate! Je vendrai l’article au plus offrant! Et si c’est trop bas, je publierai tout simplement l’interview sur mon blog, toc!
P: …
Stefania: Et voilà le verre d’eau pour la petite copine à notre Julien. T’as pas l’air en forme toi Juju! T’as la truffe toute pâle. Tiens au fait Bruno te cherchait tout à l’heure pour les antidouleurs maison.

C’est vrai que je suis complètement dans le cirage avec ce cacheton, je transpire comme dans un sauna et commence à avoir des difficultés à articuler. Par-dessus le marché Paul⸱ine me tape déjà sur le système, elle boit de la flotte et tourne mes blagues au sérieux, il y a un gros problème de compatibilité.

JCN: Donc, nous disions… attends je prends ma checklist. Alors… point 1 intro voilà : Bonjour je m’appelle Julien, je suis un grand reporter et je mène une enquête eschatologico-culinaire. Dans ce cadre j’interviewe l’humanité, l’informe que la fin est proche pour pas contrarier le haricot blanc géant, et l’interroge sur ses penchants culinaires apocalyptiques. Voilà… Sinon j’expérimente aujourd’hui un traitement médicamenteux qui peut provoquer des somnolences. Donc si tu vois que mes paupières s’alourdissent, n’hésite pas à me tirer sur les moustaches. Voilà bon première question: tu as changé ton nom pour y placer un point milieu. Why?

P: Car je pense que l’écriture inclusive est une question sociétale et politique que la droite conservatrice veut réduire à un débat grammatical. Tout le monde doit être représenté, les hommes, les femmes, les autres. Il faut arrêter de penser au masculin si on veut sortir de ce monde masculin.
JCN: Ok mais pourquoi avoir changé ton nom? Tu es transgenre? Ça paraîtrait logique.
P: Mais non pas du tout, tu mélanges tout! C’est pour donner un signal fort et pour ne pas qu’on me réduise à mon identité sexuelle génétique.
JCN: En tout cas respect, c’est osé et ça claque. Et ça je le pense sincèrement. Je me sens assez concerné, faisant partie d’une minorité d’écureuils parlants qui se résume à un individu.
P: Eh bien voilà, l’écriture inclusive permet de représenter des gens comme toi.
JCN: Des gens comme moi? Qu’est-ce que tu insinues? Que je suis transgenre?
P: Mais non enfin, c’est toi-même qui disais à l’instant que
JCN: Relax Paul⸱ine, je déconnais lol!! Bien qu’à ma manière je sois vraiment transgenre quand on y pense… Bon j’arrive tout doucement au bout de ma checklist. Y a-t-il autre chose que tu trouves important d’évoquer?
P: Quoi?
JCN: J’arrive tout doucement au bout de ma checklist. Y a-t-il autre chose que tu trouves important d’évoquer?
P: Non mais j’avais compris, c’est juste que tu m’as posé royalement une question…
JCN: Ah tu m’as fait peur, je pensais que c’était mon articulation qui posait problème
P: Bref. Pour l’article j’aurais aimé donner mon avis sur le nouveau pronom iel, non genré, qui enflamme les passions.
JCN: Oh nooon on en a déjà assez entendu parler de celui-là, viens on parle plutôt d’autre chose: mon système à moi d’écriture inclusive, que j’ai nommé JCN+. Ça va t’intéresser tu vas voir! J’ai mis au point un système grammatical inclusif et sociotransversal: je mélange le féminin et le masculin tout comme le tutoiement et le vouvoiement. Exemple: Bonjour chers lectrices, comment tu vas? Ou encore: Bonjour chères lecteurs, tout va comme tu voulez? Alors Paul⸱ine qu’est-ce que tu en penses? En plus de venir fracasser les genres et les idées reçues, c’est quand même un chouia plus lisible que le point milieu, non?

Qu’est-ce que tu vas te mettre dans le gosier, mon cher Paul⸱ine?

Paul⸱ine est plus qu’impressionnée, je lui ai coupé les pieds dans l’herbe et elle peine à retomber sur ses pattes.

P: Franchement, je
JCN: Ben oui, c’est comme l’autre jour, j’ai entendu dire à la radio “les chercheur⸱euses”. L’écrire ok, mais le dire c’est pas esthétique si tu veux mon avis, combat politique ou pas. Pourquoi ne pas sacrifier un quart de seconde supplémentaire et dire tout simplement: les chercheurs et les chercheuses. Ou encore mieux, utilisons le système JCN+: messieurs les chercheuses, ou un truc comme ça. Oui?
P: Mais je crois que tu n’as pas du tout compris, je
JCN: Après dans ton nom je trouve que c’est quand même stylé, mais pour le reste, bof. Paul⸱ine! Ça troue le cul, sérieux. Je vais le proposer à ma mère, elle s’appelle Claudine. Bon dernière question mon poto, la question que je pose à tout le monde et que mon lectorat attend avec jubilation: le jour du Jugement dernier a sonné, et c’est l’heure de ton dernier repas sur cette terre. Qu’est-ce que tu vas te mettre dans le gosier, mon cher Paul⸱ine?
P: Franchement je
JCN: Attends!! On va pimenter un peu le jeu: le repas que tu choisis doit être… inclusif!! Haha! Stefania! Remets une 33 steplait.

Lol, l’interview est complètement délirante et Paul⸱ine est scotchée. Pour ma part j’ai passé le stade des sueurs et je me sens hyper en forme, d’humeur très jouette. La reine du point milieu prend le temps de réfléchir et me dit:

P: Bon puisque c’est la dernière question. Eh bien j’irais tout simplement déguster un bon pain à la bière et une bonne bière au pain chez Janine, la boulangerie-brasserie de la chaussée d’Alsemberg. Quoi de plus inclusif que leur concept basé sur l’économie circulaire: avec les pains invendus ils font de la bière, et ils réintègrent les drêches et la levure de bière dans le pain!
JCN: Du pa⸱inclusif en quelque sorte! Sacrée Paul⸱ine, voilà un choix qui va nous réconcilier! Je connais l’endroit, c’est tout près de ma pharmacie. J’adore, tout y est fait avec amour et savoir. Permets-moi de rajouter un bon beurre salé sur ta tranche de pain toute fraîche, et là on commence à s’imaginer le tableau. Et quelle bière tu prendrais?
P: Je pense que je boirais une Ka Sa Yé, une bière trouble et cuivrée aux notes rafraîchissantes d’ananas et de coco.
JCN: Ah, pas si coincée finalement, ça c’est ton côté beach girl laid back qui ressort, non?
P: Non.
JCN: Ok whatever

L’exotique Ka Sa Yé ? par Janine.

Et puis j’ai totalement disjoncté, je me souviens juste de m’être mis à tenir le crachoir dans un anglais monstrueux composé principalement d’interjections – so what – avant qu’un brouillard aussi dense que la robe de la Ka Sa Yé ne s’abatte devant mes yeux. Quand je me suis réveillé j’étais dans l’arrière-salle du Nichoir allongé sur la table de massage de Mischa. Paul⸱ine, cette ingrate, n’était pas restée à mon chevet. Ça cause circulaire et inclusif mais dans le fond c’est obtus comme un coin de table et pas tolérant pour un sou, quand le grand Jour arrivera y en aura un⸱e qui va se sentir bien seul⸱e et faudra pas venir pleurer dans la fourrure de son copain Julien. De toute façon mon interview était finie alors r.à.f. tu sais. Et puis le sujet m’intéressait pas tant que ça finalement. J’ai attendu encore cinq minutes le temps de recouvrer totalement la vue et je suis rentré chez moi non sans avoir pensé à refiler les comprimés à Bruno. S’il se rappelle encore qu’il a mal au dos après ça, c’est qu’il a vraiment une bonne mémoire.

Votre vie nous intéresse.

Et toi, où ce que t’achètes ton pain? T’as une petite boulangerie sympa à conseiller?
#Balance ton carnet d’adresses dans les commentaires!

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2 réflexions sur “P comme Paul⸱ine”

  1. Salut Julien! Moi j’ai une super recette de pain sans pétrissage et sans levain, juste avec de la levure sèche instantanée! Je te la filerai à l’occasion 😘

    1. C’est pas mal ça, pour les commme moi, qui ont tendance à faire des dégâts aux fourneaux. Quelqu’un aurait-il une recette de pain sans cuisson?

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