G comme Gaétan

Photo Philippe Clabots, licence CC BY-NC-SA 2.0
Je suis pas parti sur de bonnes bases dans la vie.
Salut amies lecteurs, c’est Julien Cassenoisette aka JCN. Je suis autoentrepreneur pigiste freelance à mon compte mais pour faire court disons que je suis un gland reporter de petite taille. En ce moment la presse écrite c’est pas facile-facile, autant vous dire que ça rapporte des cacahuètes. Résultat des courses je loge dans une petite chambre chez Claudine, qui soit dit en passant me brise sérieusement les gonades.
Claudine c’est ma mère, une bigote au bord de la retraite qui tient la pharmacie de la Providence chaussée d’Alsemberg à Forest. Cinquante ans qu’elle est derrière son comptoir à s’engraisser en vendant les saloperies des labos pharmaceutiques. Elle aurait voulu que je reprenne l’affaire mais j’ai évidemment raté mes études de Legal Drug Dealer. Oui messieurs-dames, je te le donne en mille, JCN a préféré sniffer de la colle et tirer sur des bongs entre les cours de bio et de chimie, quand il n’était pas en train de dévaliser l’officine de sa maman en vue de préparer de savoureux cocktails psychotropiques – tout y est passé. Ouais, en pratique j’étais pas mauvais mais mon cerveau poreux ne retenait pas les formules. Alors j’ai bifurqué vers un bachelier en Reportage et Photojournalisme à l’ULB mais j’ai pas validé mes stages. Ce qui fait que oui, je suis reporter mais j’ai pas le petit bout de papier et puis de toute manière en Belgique les écureuils ne peuvent pas avoir la carte de presse et exercer pour une rédaction. C’est vraiment un pays de gros cons. Donc voilà, pour joindre les deux bouts je n’ai d’autre choix que de vivre chez ma mère en échange de faire les gardes et la fermeture les soirs de semaine à la Providence et d’en profiter pour taper à l’occasion dans la réserve.
À côté de mes activités pharmaceutiques voire même pharmacologiques, j’ai un agenda professionnel qui commence à se remplir et j’espère que le portefeuille va en prendre de la graine. Je vous invite à découvrir mes services de type journalistique sur la page Services ben oui.
Et en sus de tout ça, je travaille à mon projet principal, l’œuvre d’une vie : mon grand dictionnaire de l’Apocalypse. Vous découvrirez ci-dessous comment cette idée saugrenue s’est imposée à moi. Allez ensuite jeter un œil aux articles et n’hésitez pas à laisser un commentaire. Enfin voilà, cet ouvrage devrait m’apporter la notoriété et l’aisance financière nécessaire pour me louer une chambre en demi sous-sol dans un quartier mal noté, me payer une cure de désintox (lol) et retrouver mon salaud de père, ce mystérieux donneur de sperme qui aura permis à Claudine de se faire médicalement engrosser à 46 ans, juste avant qu’elle soit rangée parmi les objets trouvés. Avant d’opter pour cette solution de dernier recours, maman avait déjà fréquenté divers représentants du sexe masculin, mais n’avait pas rencontré le bon géniteur. Elle s’est mariée deux fois. D’abord avec un certain Christian. À l’adolescence, pendant une partie de squash, il avait ramassé une méchante balle dans les roustons et depuis lors ne crachait plus que de la soupe, ce qui n’arrangeait pas Claudine pour engendrer son apothicaire associé. En plus, Christian ayant découvert sur le tard qu’il préférait faire trempette dans des culs plus poilus, il a quitté maman. Peu après elle en a rencontré un autre dont j’ai oublié le nom et qui n’a pas eu le temps de féconder la poularde. Il est mort après avoir loupé un virage, en rentrant de son cours de Krav Maga. Fatiguée et aigrie, en pleine crise de foi, Claudine s’en est remise au miracle de la science, à son Dieu point zéro. Un catalogue informatisé, quelques critères de race, taille et caractère du père, et bim elle remplit la case du numéro choisi dans un tableau Excel. Quelques mois plus tard, dans sa pharmacie, elle se fait le test de grossesse qui ne laisse pas de doute : “la petite graine a germé”, glisse-t-elle, émue, en agitant le bout de plastique pisseux devant ses clientes embarrassées. Bon la suite est moins radieuse. Elle se retrouve à accoucher d’un écureuil qu’elle nommera Julien d’après le présentateur de Questions pour un champion. Ma naissance laisse les médecins perplexes. « On dirait que la PMA a un peu foiré » sera l’explication finale que lui donnera le biologiste responsable de tout ce bordel.
Comme vous voyez, je suis pas parti sur de bonnes bases dans la vie, qu’est-ce tu veux qu’j’te dise. Et ça s’est pas arrangé quand, à 22 ans, j’ai pris ces champis mexicains sur le campus de l’unif. Juste après la fatale ingestion, j’ai eu une dalle de sciuridé et j’ai décidé d’aller m’engloutir un truc à la Turbean, la cantine durable et engagée avenue Paul Héger, qui fait tout un tas de super projets durables et engagés ainsi que de manière plus immédiate des plats du jour à cinq euros pour les étudiants durablement enragés comme je l’étais ce jour-là sans l’ombre d’un doute. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire j’ai défoncé un sensationnel Giga Bowl dont la composition est à découvrir sur la photo.
Le Giga Bowl de la Turbean
Je suis ensuite resté bloqué sous une table pendant un peu plus de quatre heures avant que deux ambulanciers balèzes ne parviennent à me déloger. Ce qui m’est arrivé est à peine croyable. Certains diront que j’ai été victime d’une terrible hallucination. Moi je préfère nommer cela une vision, voire une révélation : alors que je léchais la faïence pour ne rien gaspiller de ce mets délicieux, un haricot blanc géant est soudain entré dans le resto et s’est dirigé droit sur moi. Il m’a fracassé mon bowl vide sur le coin du museau avant de me jeter à terre et de me rouer de coups.
Un écureuil issu d’une PMA foirée, ça ne s’invente pas.
Je me suis réfugié sous la table, où l’irascible légumineux ultraprotéiné est venu me rejoindre. La créature, ayant retrouvé un calme olympien après cette bastonnade olympique, m’a expliqué à peu près en ces termes :
Haricot blanc géant: Julien, je venu t’annoncer ceci : la fin du monde est proche. On sait pas très bien pour quand c’est, ni à quoi ça ressemblera, ni encore s’il y aura des survivants. En bref on ne sait pas grand-chose.
Julien Cassenoisette: Hein ? C’est qui “on”, d’abord ? Y en a d’autres comme toi ?
Haricot blanc géant: T’occupes.
JCN: Et toi t’es qui au juste ? C’est quoi ton nom ?
Haricot blanc géant: C’est Gaétan. Et maintenant ferme ta gueule et écoute-moi bien, Julien. Un écureuil issu d’une PMA foirée, ça ne s’invente pas. Et ça ne peut être qu’une chose: c’est forcément l’Antéchrist.
JCN: oh là là, c’est quoi cette galère putain… Et puis c’est quoi ça déjà l’Antéchrist ?
Gaétan: C’est le faux prophète. Le Fils de la perdition. Un être dégénéré venu sur terre pour combattre les forces du Bien. Il est le signe du Mal, la pute de Satan. Il incarne le déclin du monde.
JCN: Mais n’importe quoi, tu délires le haricot. Et puis même si c’est vrai, qu’est-ce que je suis censé faire ?
Gaétan: Et ben on m’a pas donné beaucoup de détails, mais en gros, tu dois foutre la merde et agir comme un enculé de première. Pervertir et dégrader l’humanité. Et ce faisant : annoncer l’Apocalypse au monde entier.
JCN: Mais c’est quoi ce job de merde ! Trouvez-vous un autre guignol qui ressemblera plus à un pigeon que moi avec ma dégaine d’écureuil.
Gaétan: Le temps presse et j’ai encore un message pour toi, Julien. En menant à bien ta mission, tu seras amené à rencontrer ton père. Cette rencontre sera capitale.
JCN: Capitale comment ? Et je dois faire quoi quand je verrai mon père ? Et comment je saurai que c’est lui ? Et puis qu’est-ce que ce fdp vient foutre là-dedans ??
Gaétan: Je ne peux pas t’en dire plus. Je dois te laisser, on m’attend en cuisine.
JCN: Attends ! Tu peux au moins me dire pourquoi tu m’as tabassé à mort ? Je crois que tu m’as pété le poignet, putain de merde.
Gaétan: On m’attend en cuisine.
JCN: Putain, putain putain
Gaétan: Une toute dernière chose, Julien : tu as intérêt à prendre ta Mission au sérieux. Sinon, on reviendra. Et ce ne sera plus pour discuter sous une table comme deux connards hallucinés.
Et cette enflure de haricot flatulent est effectivement partie vers les cuisines.
L’Apocalypse? Très bien, avec plaisir.
Terrorisé dans mon abri, j’ai pris le temps de réfléchir. En fait, tout cela n’était pas dénué de sens : mon improbable existence ne pouvait signifier que l’apogée de la décadence ambiante. L’apothéose de l’inextinguible déchéance de notre époque. Moi, Julien Cassenoisette, le messager du Déluge. L’Antéchrist ! Ok, c’était hyper logique. Mais bordel, il fallait pas compter sur moi pour m’engager dans une lutte suprême contre les forces du Bien ou quoi que ce soit d’autre dans le style. L’Apocalypse? Très bien, avec plaisir. Pour ce que j’en ai à foutre, sérieux. Tout le monde sait déjà que les dés sont jetés, non ? Et pour pervertir et dégrader l’humanité, je ne pense pas que le concours d’un écureuil soit indispensable. Alors, dans l’ambulance qui m’emmenait à l’hôpital d’Etterbeek-Ixelles, j’ai réfléchi. Je me suis dit Julien mon copain, t’es pas un grand orateur, t’as aucune prestance et je t’imagine mal en prédicateur à moustaches magnétisant les foules. Le prêchi-prêcha c’est plutôt le truc de Claudine. D’un autre côté j’avais pas trop envie que Gaétan me refasse une tête au carré, il m’avait bien foutu les boules. La solution : j’allais annoncer l’Apocalypse sur un blog, tranquillos derrière mon écran ! Il me manquait encore un concept. Comme je manie les mots avec l’aisance d’un dictionnaire, pourquoi ne pas en faire un, nom d’un champi mexicain ? En plus justement une de mes idoles depuis toujours c’est Diderot figurez-vous. Je pourrais gentiment annoncer le Jugement dernier sous forme d’entrées lexicales recensant ses signes annonciateurs. C’est pas ça qui manque et ça aurait l’avantage de combler les temps morts à la pharmacie tout en me tenant éloigné de la réserve (lol). En plus j’étais quand même hyper curieux d’enfin rencontrer mon père et surtout de l’interviewer ben ouais. Et puis le grand haricot n’aurait rien à me reprocher : j’aurais rempli le contrat de par ce travail journalistique fouillé à visée informative et pédagogique. Et tant qu’on y était, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable, unir travail et passion en en profitant pour écrire à propos d’un de mes vices préférés, symbole par excellence de la déliquescence en cours : la bouffe et tout ce qui tourne autour, à savoir les bars restos et commerces bruxellois dignes de ma plume. Si ça se trouve je pourrais devenir un grand critique culinaire. C’est ainsi que je pris la décision de passer le temps dernier à rédiger de sulfureux articles qui consacreraient mon talent et me mettraient à l’abris de Gaétan tout en me donnant la parfaite excuse pour me goinfrer de 666 délices. J’étais bien décidé à profiter à fond jusqu’à l’Armageddon. Me fallait encore un titre accrocheur pour mon grand dico à la Diderot. Je sais ! m’écriai-je, sanglé sur mon brancard. Ça s’appellera : Les Mots de la Fin ! Non… Les Maux de la Faim !! Non, je sais ! Les Mauts de la Fain !!! Attends… non, c’est trop intello merdique con. Je sais ! m’écriai-je à nouveau. Mon grand dictionnaire de l’Apocalypse se nommera :
666 Délices
Inscris-toi à la Newsletter
Si tu ne veux pas rater l’Apocalypse et ses délices, inscris-toi !