B comme Boulets à l’Union avec une L’Union en parlant de l’Union

boulets de liege

[Temps de lecture : 5 min]

Une bière et des cacahuètes.

Donc l’autre jour que c’était un lundi je me dis Julien, pour bien commencer la semaine tu vas passer au Nichoir histoire d’effacer ton ardoise. J’ai ouï dire que Stefania envoie facilement ses cousins serbes aux mauvais payeurs. Surtout qu’à mon dernier passage j’en tenais une bonne lors de mon grand reportage sur l’inclusion avec machine. Comment j’ai pu oublier son prénom (sûrement les cachetons)… Col⸱ine? Ernest⸱ine? Clément⸱ine? Bab⸱ine?

J’entre dans le bar, mon champ de vision à 300 degrés me permet de sentir le poids des regards des habitués sur le pauvre sciuridé que je suis. On dirait bien que mon numéro de la dernière fois a nui à mon image de sympathique écureuil reporter. Penaud, je baisse les yeux, fonce vers Stef et lui demande très vite d’une voix à peine audible une bière et des cacahuètes. Il faut que je grignote quelque chose quand je suis mal à l’aise. “Une petite ou une grande mon grand?”, me répond-elle de sa voix de routière. Je commence à sentir qu’elle a un peu le béguin pour moi la Stefania, et mon instinct animal me trompe rarement… Ma queue en panache ne la laisse pas indifférente, j’en mets mon coussinet au feu. D’ailleurs saviez-vous que cette expression que vous utilisez dans sa version humaine “mettre sa main au feu” vient d’une pratique moyenâgeuse appelée l’ordalie? Je l’ai appris lors d’un exposé sur l’ésotérisme au temps des Croisades en rhéto. L’ordalie ou « jugement de Dieu » consiste à soumettre un suspect à une épreuve douloureuse voire mortelle dont l’issue doit déterminer ou non sa culpabilité. Il existe tout un tas d’ordalies, par le fer rouge, la piqûre ou l’eau bouillante mais celle que je préfère est celle dite du pain et du fromage… On gave un accusé de pain et de fromage, et s’il n’arrive pas à avaler et s’étouffe, il est coupable ; de là viendrait l’expression “rester en travers de la gorge”. Mais bon je suis pas là pour retranscrire tout Wikipédia, non, je suis là pour éponger mes dettes bande de palefreniers. Toutes ces réflexions me donnent le vertige ainsi qu’une petite fringale, classique quand j’ai les neurones qui chauffent, et c’est pas ces trois poignées d’arachides qui vont combler ma dent creuse. J’affone ma petite bière, règle ma grosse ardoise et décide de m’éclipser. Je m’occuperai de la pimpante Stefania une autre fois, quand la faune qui peuple le Nichoir m’aura un peu oublié. 

Les cacahuètes m’ont donné une de ces soifs.

J’ai besoin de chaleur humaine, d’un truc vraiment authentique pour retrouver l’entrain naturel et irrésistible qui me caractérise. Alors je vais voir Bernard à la Brasserie de l’Union. Il faut évidemment que je vous parle de lui. La première fois que je suis rentré dans ce bar, il était en salle. Un vrai du métier, à mon avis il en a servi une flopée de demis. Je suis fasciné par sa façon d’être. D’un abord plutôt froid et distant, il cache sous son masque une intégrité et un code de l’honneur que j’apprécie particulièrement. Il a toujours un mot pour ses habitués mais ne transige pas avec la connerie. J’essaie donc de ne rien dire de trop demeuré quand je viens ici et franchement c’est une véritable ordalie pour votre Juju, coupable neuf fois sur dix de crétinisme aggravé. Je m’installe à une table et observe Bernard dans son ballet de garçon de café. Je prends une autre bière, les cacahuètes m’ont donné une de ces soifs, cette fois ce sera une L’Union ou une Union je ne sais pas comment dire et j’avoue que j’ai peur de passer pour un touriste. Direct mon choix de bière met Bernard dans une bonne disposition envers moi. Ma soif est temporairement épanchée mais mon estomac crie famine. Je scanne la carte en grand professionnel de la bouffetance tout en zieutant à ma droite un habitué qui feuillette ce qui ressemble à un magazine de sport entièrement consacré au RUSG. C’est une évidence pour certains et moins pour d’autres, la Brasserie de l’Union est liée de près ou de loin à la Royale Union saint-gilloise, ce club de foot qui vient de remonter en D1 cette année et qui caracole en tête de la Jupiler League. Mon grand-père maternel me parlait souvent de l’Union, son club, avec ses dix ou onze titres de champion de Belgique et qui en 62 avait éliminé l’Olympique de Marseille lors de la Coupe des Villes de foires… Du coup j’attends qu’une chose c’est qu’il repose le magazine au comptoir pour dévorer à mon tour l’histoire mythique du club de mon quartier que je connais finalement assez peu. Grand-papa m’avait promis de m’amener au stade Joseph Marien mais il a cané avant que je sois en âge de le suivre, et Claudine c’était pas son délire, elle préférait me traîner jusqu’à l’église pour m’obliger à confesser ma condition de rongeur. J’ai toujours gardé une image romantique de ce club de foot qui malheureusement est longtemps resté enlisé dans les divisions inférieures.

La Brasserie de l’Union, au Parvis de Saint-Gilles.

Ma bouche est de plus en plus sèche, mon verre de plus en plus vide.

Alors que mon voisin de table s’apprête à rendre à Bernard ce qui appartient à Bernard, je le hèle pour lui demander si je peux y jeter un œil.  Au même moment Bernard m’entend et fond sur moi: « Un copain me l’a offert ce matin et il est déjà passé entre les mains suintantes de trois clients… » Il hésite mais je sens tout de suite que l’intérêt que je porte à cet objet cher à son cœur est plus fort que sa crainte que je l’abîme ; il me le confie avec un large sourire en me mettant en garde eu égard à la valeur sentimentale qu’il y attache. Je lis cet ouvrage avec application sans évidemment écorner les feuilles, en proie à une affreuse anxiété, terrorisé à l’idée de commettre l’irréparable. C’est une véritable bible du RUSG qui retrace toute l’histoire du club, ce truc doit valoir de l’or en barres, j’en donne ma patte à couper. D’ailleurs saviez-vous que cette expression que vous utilisez dans sa version humaine “donner sa main à couper” vient d’une pratique moyenâgeuse appelée l’ordalie? Je l’ai appris lors d’un exposé sur blablablablabla voir plus haut. En parlant de pattoune: les miennes deviennent de plus en plus moites, ma bouche de plus en plus sèche, mon verre de plus en plus vide. C’est trop de pression, je ne suis pas à la hauteur de la situation. Alors, accablé par le poids de la responsabilité, je commande une autre Union à Bernard et lui rends son précieux avant qu’il n’arrive malheur, sans en être arrivé au bout. Au final, mon Bernard entre ses courses d’un professionnalisme à toute épreuve (un de nos points communs) trouve le temps de me parler du RUSG. Me montre son tatouage sur l’avant-bras à la gloire de son club. Quand il me dit qu’il est abonné depuis 25 ans mais que cette année où le club est enfin en première division il ne pourra pas y aller car il est interdit de stade, je vois dans ses yeux la tristesse d’un passionné, d’un fidèle et d’un grand monsieur. Je me lance et lui raconte mon histoire de haricot, de fin du monde et d’encyclopédie mais il n’a pas le temps de se prêter au jeu de l’interview du condamné. D’un caractère insistant, je lui pose quand même la fameuse question: 

Ce sera quoi pour notre Bernard, avant de caner au stade le poing en l’air? 

Il me répond ceci: 

Bernard: “Boulets liégeois avec des frites sans hésiter, ceux de ma grand-mère qu’elle me faisait le mercredi midi avant d’aller jouer au foot à l’école des Jeunes de Saint Gilles. » 

J’ai envie de lui demander ce que lui-même faisait de son après-midi pendant que la grand-mère tapait dans le ballon, mais il ne m’en laisse pas le temps.

Bernard: Depuis qu’elle est morte je n’ai plus jamais mangé d’aussi bons boulets mais il paraît que la mémoire des saveurs de l’enfance se décuple à mesure qu’on vieillit, c’est donc peine perdue pour que j’en retrouve le goût.” C’est fou comme on se ressemble lui et moi, sa grand-mère est morte et moi mon grand-père. Si ça se trouve on a encore plein d’autres similitudes. Au risque de le contrarier je lui demande:

JCN: Vous avez pas souvent la bouche sèche toi aussi par hasard, surtout avec les cacahuètes?

Il n’entend pas la question ou l’ignore, allez savoir. Avant de mettre fin à notre échange et ainsi à mon reportage, Bernard me conseille vivement les boulets du chef à la carte. Ni une ni deux je décide de remplir mes bajoues de ces énormes boulettes de viande au sirop de Liège comme un enfant qui déguste sa première glace. Je finis par lécher mon assiette pour ne pas laisser une goutte de la fameuse sauce lapin, dont la saveur aigre-douce a tendance à me faire perdre tout ce qui peut me rester de bienséance. Bernard me prend sur le fait et se marre. Alors que, titubant sous le poids de ma brioche prête à éclater, je me dirige vers la porte, il rajoute encore:

B: Attention à la marche, Julien!

Je ne comprends pas du tout pourquoi il me parle de ce jeu télévisé à la chiasse.

JCN: Ah ah… euh… ok Jean-Luc.
B: Hein? Bref, fais gaffe sur le Parvis, depuis quelques temps y a une bande de toxicos qui agressent les passants.
JCN: Je sais t’inquiète, je les connais tous!

J’aimerais lui conter cette belle rencontre, ainsi qu’à vous chères lecteurs affamées, mais déjà Bernard me tourne le dos et retourne à sa corégraphie démoniaque d’ultraserveur. Je pousse la porte, rate la marche et manque de m’éclater la truffe sur le pavé. Putain ils pourraient prévenir quand même, c’est hyper dangereux ça. Rapide coup d’oeil à l’heure: merde, je serai en retard pour mon shift à la pharmacie. C’est rien, Claudine sait depuis longtemps que je suis un boulet.

Votre vie nous intéresse.

Quel est le plat que te mijotait ta grand-mère?
#Balance tes saveurs d’enfance en comentaire morfale

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3 réflexions sur “B comme Boulets à l’Union avec une L’Union en parlant de l’Union”

    1. Ta grand-mère t’aimait sûrement beaucoup, chipolatas et stoemp de chicons c’est synonyme d’amour dans le dictionnaire de l’Apocalypse. Tu m’as donné envie de mettre ce plat dans une baguette avec des frites et de l’avaler.

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